L’inondation de Sefrou en 1890
Texte de Charles PENZ Docteur és-lettres dans Chroniques du Vieux Maroc (1953)
La petite ville de Sefrou est célèbre par ses cerisiers et par ses lavandières. Celles-ci animent, à longueur de journée, de leurs cris et de leurs bavardages, le ravin de l’oued Sefrou : les touristes le savent bien, les photographes et les peintres aussi qui ont souvent fixé sur la toile ou sur la pellicule le spectacle coloré des lavandières de Sefrou. Mais ces touristes, ces peintres, ces photographes savent-ils que l’oued Sefrou, pittoresque et photogénique, a été un torrent dévastateur au printemps de 1890 ?
Le vendredi 16 mai, le torrent ayant considérablement grossi par suite de la fonte des neiges – l’hiver avait été exceptionnellement rigoureux – entraînait d’énormes quantités de branches d’arbres, de feuilles, de quartiers de rocher et de sable. Tous ces matériaux eurent bientôt bouché la petite ouverture pratiquée dans le mur d’enceinte, par où les eaux de l’oued s’écoulent normalement. Sefrou étant bâtie dans le creux d’une vallée profonde, les eaux s’amassèrent derrière la muraille, et quand elles eurent atteint la partie supérieure, la jetèrent bas et se lancèrent avec violence sur la petite ville.
Un grand nombre de maisons, à Sefrou comme à Fez, sont traversées par des branches de l’oued ; de sorte qu’elles furent envahies par les eaux à la fois du dedans et du dehors. Avant que les habitants eussent eu le temps de se reconnaître, ils se trouvèrent assiégés par l’inondation. Ceux qui purent immédiatement monter sur quelque haute terrasse ou prendre la fuite à l’extérieur furent sauvés. Mais le nombre des victimes atteignit quatre-vingt-dix, dont quarante musulmans et cinquante israélites, parmi lesquels beaucoup de jeunes gens et d’enfants.
D’énormes provisions de farine, de vin, d’eau-de-vie et de beurre furent enlevées par les eaux, ou rendues inutilisables. Comme c’était l’époque où l’on retire l’huile d’olive des pressoirs, il s’en trouvait de très grandes quantités dans les maisons de la Médina et du Mellah. Tout fut emporté.
Il y eut aussi des scènes de pillage, auxquelles assistaient impuissants les malheureux propriétaires, du haut des terrasses où ils s’étaient réfugiés. Beaucoup de boutiques furent mises à sac par des malandrins qui profitèrent de l’effarement général pour accroître les dommages causés par l’inondation.
Le chroniqueur auquel nous devons ces informations ajoute que les Juifs de Fez épousaient alors volontiers les jeunes filles de Sefrou en raison de leur beauté. Aussi, la communauté israélite de la grande ville voisine vint-elle très vite au secours de ceux de ses coreligionnaires qui, pendant la dix-septième année du règne de Moulay el Hassan, avaient été victimes du débordement de l’oued Sefrou.
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