Sefrou (1950) par Mbarek Bekkay
Si Bekkaï, pacha de Sefrou était une personnalité de grande valeur et d'une haute rigueur morale. Officier de l'armée française (lieutenant-colonel de réserve), mutilé de guerre, il démissionna de son poste lorsque que le Sultan Sidi Mohammed ben Youssef fut "éloigné" avec sa famille. Si Bekkaï fut ensuite premier ministre du premier gouvernement formé par S.M. Mohammed V après l'indépendance (il faut noter que dans ce premier gouvernement un autre sefrioui était ministre de l'intérieur: le caïd Lahcen Lyoussi .....pas mal pour une petite bourgade de moins de 15 000 habitants).
Conférence faite, aux Amis de Fès, à Riad Caïd Omar à Sefrou, le 30 avril 1950 où l'association s'était déplacée à l'invitation de Mbarek BekkaÏ, membre actif des Amis de Fès
L'historique de Sefrou que je vous livre aujourd'hui est sans prétention. Ce travail toujours délicat demande une grande érudition que je ne prétends pas avoir. J'ai dû vous paraître hésitant lorsque vous m'avez demandé de vous faire cette causerie, mais je puis vous affirmez que cette hésitation ne traduisait chez moi que la crainte de l'imprécision dans l'élaboration du travail sollicité, faute de documentation suffisante. Cette crainte s'est quelque peu dissipée grâce à l'aide de personnalités soucieuses de l'intérêt historique du Maghrib, que je remercie bien vivement. Parmi ces personnalités, j'ai nommé M. le docteur Secret, qui m'a prêté une étude économique fort intéressante de M. le professeur Le Tourneau, parue dans le bulletin des Hautes Etudes Marocaines des 2ème et 3ème trimestre de l'année 1938. Puis le colonel Dessaigne, qui a bien voulu mettre à ma disposition un petit opuscule appartenant aux archives du Cercle, où j'ai puisé l'essentiel de notre objet, quoique cet écrit ne semble mentionner l'historique de Sefrou que pour laisser une plus grande place aux événements militaires de la pénétration et de la pacification françaises. M Huchard, administrateur civil, chef des Services Municipaux, qui m'a ouvert toutes grandes ses archives où j'ai pu recueillir pas mal de renseignements. Et enfin le capitaine Schvallinger, pour ses cahiers de Charles de Foucauld.
Dans ces divers documents, il n'y a malheureusement rien de bien net sur les véritables origines de Sefrou. Il faut cependant reconnaître qu'ils s'accordent tous pour refléter -à peu de choses près- la tradition orale et qu'ils ne les font remonter qu'au règne de Moulay Idriss II c'est à dire vers l'an 800 (2ème siècle de l'hégire). Le grand historien arabe El-Quitass, lui même ne mentionne Sefrou dans son livre « Les exploits de Moulay Idriss », que dans la mesure où cette dernière ville a fini d' être islamisée par le fondateur de Fès. C'est donc sur ses bases malheureusement insuffisantes que nous étudierons ensemble, si vous le voulez bien, l'historique de Sefrou, quelque peu sa situation économique actuelle et enfin son côté touristique indéniable.
Historique proprement dit.
Pour bien comprendre l'existence de Sefrou, qui n'est qu'une molécule dans l'histoire générale du pays, nous sommes tenus de remonter assez loin dans le temps, mais pas trop cependant, pour ne pas nous perdre complétement dans le domaine des conjectures. Nous arrêterons ce demi-tour en arrière à l'époque des premières lueurs de l'Islam sur l'Ifriqia. Nous nommerons comme premier missionnaire de la religion musulmane et de la langue arabe Okba ben Fafaâ, qui traversa le Maroc d'est en ouest, en 682, et engagea son cheval dans les eaux de l'Atlantique en s'écriant: « Dieu de Mohamed, j'irai encore plus loin porter ta mission, sans ces flots qui m'en empêchent ».
Avant 682 ce petit centre s'appelait déjà Sfro. Nous sommes à l'époque de l'autochtone païen dont on connaît mal les origines exactes: tout ce que nous en savons c'est que ces bérabères étaient sans religion, vivaient rustiquement et subissaient plus ou moins superficiellement les influences des phéniciens, Romains et byzantins.
D'aucuns prétendent que le mot Sfro selon la prononciation locale, vient du verbe arabe Safaro . Mais étant donné ce que nous venons de démontrer, à savoir que cette appellation de Sfro existait déjà avant l'introduction de la langue arabe dans ce pays, d'une part, et que d'autre part, le verbe en question ne porte pas initialement de lettre çad, de C cédille en français, mais bien un S arabe, nous sommes logiquement portés à écarter cette première version. En dehors de cette dernière supposition en existent-ils d'autres? Je n'en sais rien quant à moi et livre cette recherche à la science linguistique qui percera un jour ce mystère, je le souhaite.
L'aperçu général qui précède nous situe grosso modo dans le temps. Pour mieux nous aider à comprendre notre petite histoire il est un autre élément important que nous ne pouvons négliger, je veux dire le facteur géologique.
Divisé par les trois grandes et parallèles chaînes de montagnes que nous connaissons, le Maroc nord a toujours été plus florissant que dans sa partie sud. Ces montagnes n'ayant jamais été des remparts infranchissables, il est certain que l'émigration s'est toujours faite dans le sens sud-nord et légèrement sud-est en suivant la vallée de la Moulouya. Plusieurs raisons commandèrent cette émigration: je n'en citerai que la pauvreté des territoires sahariens, due à la sécheresse, les fuites consécutives aux combats des clans et les caravanes commerçantes qui venaient dans le nord pour vaquer à leurs affaires. Dans ce mouvement de va-et-vient, les points d'eau dictèrent les étapes. Celle de Sfro avant Fès, semble être le dernière vers le nord.
Oasis sans palmiers, mais nid de verdure reposant sur une terre riche fertilisée par les eaux de l'oued Aggaï, il ne fallut pas mieux comme paradis terrestre à des gens fatigués par les privations de toutes sortes. Est-ce à dire que les vieux habitants de Sfro soient tous remontés du sud, certainement pas, mais force nous est de constater que le Maghrib-El-Aqça a été longtemps un immense jeu de jacquet où les dés tournèrent sans cesse pour ne prendre leurs formes définitives que leur donne le sort, qu'à une époque relativement rapprochée de nous.
Vers l'an 700, les « troglodytes » vécurent sur les pentes d'Immouzer du Kandar, de Bahlil et de Mezdra Jorf, c'est à dire autour de l'oued Aggaï, près de son embouchure. Petit à petit ces troglodytes sortirent de leurs cavernes et s'abritèrent dans des noualas ou des khaïmas en poils de chèvre en attendant de construire. Puis par les moyens du bord, des maisons sortirent de terre; les forêts alentours fournirent le cèdre; à l'époque ces forêts étaient florissantes, elles n'avaient pas encore subi la dévastation des Hilaliens. Elles n'avaient pas de gardes-forestiers, il ne fallait s'y garder que contre les lions, les tigres, la panthère et autres bêtes sauvages.
De maison en maison, les ksours se formèrent en trois groupes qui sont:
1- les Ksours El Fouqanynes (du haut)
2- les Ksours El Ouastanynes (du centre)
3- les Ksours Ettchtanynes (du bas)
Les Ksours El Fouqanynes auraient été au nombre de 17, répartis le long des rives de l'oued Aggaï, depuis sa source jusqu'à la ville actuelle de Sefrou.
Ils s'appelaient:
1- Ahromat
2- Kiffane Béni Seddane
3- Malga Louidane
4- Dar Taghzout
5- Kaf Sarij (à la rencontre des deux branches de l'oued Aggaï)
6- Aïn Doukkara
7- El Aïou
8- Béni Khaled (près de Sidi Bousserghine)
9- El Kolèïâ (diminutif du nom d'El Kelâa actuel)
10- Khandeq Ennéjar
11- El Kiffane
12- Eddouira
13- Oulad ben Tahar
14- Oulad el Meklati
15- Oulad Taleb
16- Oulad el Qettrani
17- Oulad el Btioui (sur la rive gauche de l'oued Aggaï à hauteur du Fort Prioux)
Les Ksours EL Ouastanynes occupaient à peu près l'emplacement où se trouve la ville actuelle. Ils étaient au nombre de 10:
1- Habouna (rive droite de l'oued)
2- Sidi Boumédienne (emplacement actuel du marabout portant ce nom)
3- D'chr Ben Saffar (vers la colline Hammama)
4- Seb El Hajain
5- Béni Ouzi
6- Sehb el Mssaken (au nord du Jbel El Kebir)
7- Dar Hmad
8- Aâïoun El Khnazer (vers le Jbel Binna)
9- Béni Hamdoun (vers la porte actuelle des Béni Médreck)
10- Tofr ( près de Béni Médreck également)
A la sortie des Ksours El Ouastanynes, l'oued Aggaï prenait le nom de oued Sfro; près de Tofr il s'appelait l'oued EL Ihoudi (rivière du juif). Les juifs venus du Tafilalet, du sud algérien et de Debdou, se mirent sous la protection des Ksouriens qui les installèrent dans le Ksar, appelé Tofr et Ksar El Koufar (des mécréants). Reproche assez gratuit de la part de ces Ksouriens qui n'étaient pas eux-mêmes bien imprégnés de leur religion. Ces juifs furent attirés par le commerce et firent souche avec les Ksouriens. Ils ont toujours été en nombre important. Ils se développèrent parallèlement et proportionnellement aux Ksouriens et forment un bon tiers de la population actuelle de Sefrou.
Les Ksours Ettchtanynes étaient au nombre de 15; ils étaient échelonnés le long de l'oued Sfro, jusqu'au confluent de ce dernier avec le Sebou. Ils s'appelaient:
1- El Feddane
2- Dar El Attar
3- Sidi Moussa
4- Kef Mira
5- Krifzouz (vers El Glatt)
6- El Ghorfatt
7- Béni Mansour
8- Sidi Abderrahman
9- Aïn Erraâ
10- Bouriga
11- Sidi Ben Ghmagh
12- Aïn El Qsab
13- Aïn El Atrouss
14- Zenzella
15- Sidi Mohamed El Ouali (à proximité du Sebou)
Sans cohésion entre eux et mal gardés contre les razzias des montagnards voisins, ces nouveaux Ksouriens, à demi sédentarisés, se mirent cependant à travailler la terre. Ils lui firent rendre des céréales, plantèrent des oliviers et produisirent déjà des navets « beldi » et des carottes. Les femmes travaillèrent la laine. Le souk du Ghzel était bien achalandé. C'est à une forte branche d'olivier qu'étaient suspendues les balances primitives servant au pesage de la laine. Mais, proie facile et bien tentante aux guerriers des tribus environnantes, ces Ksouriens étaient constamment pillés. Pour mieux se défendre ils durent se resserrer les uns sur les autres. C'est sûrement cette raison d'auto-défense qui obligea les Ksours El Fouqanynes et Ettchtanynes à se regrouper autour des Ouastanynes pour faire l'actuelle ville de Sefrou.
Dans cette contraction en hérisson, les juifs ne furent pas oubliés puisqu'on les plaça au coeur de l'agglomération afin de mieux les protéger contre les razzias venant du dehors. Un rapide coup d'oeil sur le Mellah actuel où il n'est pas rare de trouver des maisons à trois étages et parfois davantage, prouve que les juifs ont été les victimes de leur propre protection. N'ayant pu s'étendre en largeur, parce que bien encadrés par les Ksouriens protecteurs, leurs habitations poussèrent inévitablement en hauteur.
Tel que nous venons de le voir, ces Ksours formèrent déjà une agglomération très compacte, mais ne disposèrent pas encore de remparts. Nous verrons dans un instant qui construisit les remparts de Sefrou. Faute d'enceintes de garde, les Sefriouis utilisèrent le plus possible les obstacles naturels et de hautes corbeilles de roseaux pleines de terre, alignées les unes à côté des autres – ces corbeilles servent de nos jours à conserver l'orge, le blé
Toutes les considérations qui précèdent nous amènent à l'an 800. Le Maroc est déjà fortement arabisé. Moussa ben N'Ceir et les byzantins sont complètement chassés d'Afrique du Nord. C'est sur ces entrefaites que Moulay Idriss 1er s'installe au Zerhoun pour fuir son grand ennemi Haroun El Rachid. Il meurt assassiné par un envoyé du puissant khalife de Baghdad Echemakh (177 Hégirienne) dans des conditions sur lesquelles je n'insisterai pas davantage car nous les connaissons et arriverai bien vite à son successeur Moulay Idriss II qui nous intéresse dans la mesure de son séjour à Sefrou.
Avant de fonder Fès en 808 (193 de l'Hégire) Moulay Idriss II séjourna pendant 2 ans à Sefrou. Ce grand monarque s'installa dans le quartier Habouna qu'il convertit très vite à la doctrine musulmane. C'est en raison de l'empressement que mit ce quartier à embrasser l'Islam que Moulay Idriss dit de ses habitants « Habouna », ce qui veut dire « qui nous ont aimés ». Les autres fractions de la ville suivirent très simplement l'exemple de Habouna dans l'islamisation d'après El Qirtass.
Mais d'après une légende orale que rapporte le petit opuscule du cercle, dont le ou les auteurs ne sont pas signalés, Moulay Idriss aurait rencontré plus de difficultés à convaincre la fraction de Maghraoua avec le Cheikh Messaoud El Maghraoui. Ce cheikh qui s'obstina dans son refus de se rallier à Moulay Idriss fut condamné à être scié entre deux planches. Ce supplice aurait eu lieu en public.
La mort du Cheikh Messaoud aurait eu pour conséquence la fuite d'une bonne partie des Maghraoua chez les Béni Alaham d'El Ader où ils auraient encore des descendants, chez les Béni Snassen, enfin à Taza et Guercif.
Toujours d'après la tradition orale, il existe une autre thèse de la fuite des Maghraoua: je passe une fois de plus la parole à l'écrit anonyme du Cercle: « c'est à l'époque Mérinide que se situe la légende suivante: pour renforcer leur autorité les Mérinides envoyaient dans chaque kaskah 4 ou 5 moghaznis, qui étaient entretenus obligatoirement par la population. A tour de rôle, chaque maison les hébergeait et leur offrait une large diffa. Ils étaient une fois les hôtes d'un notable des Ahel Sefrou. Une série de tajines avait été servie lorsque fut présenté le tajine des poulets rôtis, les moghaznis s'aperçurent qu'une patte manquait à un poulet et demandèrent la cause de cette offense à leur dignité. Il leur fut répondu, par le maître de maison, que cette patte avait été donnée par lui-même, à son petit enfant qui pleurait pour avoir un morceau de poulet. Les moghaznis ayant exigé que l'enfant leur fut présenté, l'un d'entre eux, une brute herculéenne, le saisit, le jeta à terre et, posant son pied sur le tronc du bambin, le saisit par la jambe et la tirant brusquement la sépara du corps de l'enfant, comme on arrache la patte d'un poulet. L'enfant expira sur le coup. Malgré la douleur indescriptible des malheureux parents, les envoyés du Sultan continuèrent tranquillement leur festin sans manifester la moindre gêne ou regret de ce qui s'était passé.
Dès leur départ, le père de l'enfant fit inviter chez lui tous les notables des ksours environnants, leur laissant croire qu'il offrait une diffa à l'occasion de la circoncision de son fils. Aussitôt que tous les notables furent réunis, le père posa au milieu d'eux une grande table , portant un plat recouvert d'un riche voile et les pria de s'avancer autour de la table pour faire honneur à son repas.
Le plus vénérable des notables enleva le voile et un spectacle effroyable se présenta à leurs yeux: l'enfant mort avec sa jambe séparée du corps. Le père inconsolable raconta alors en pleurant la scène de l'horrible drame et demanda vengeance.
Les notables terrifiés et écoeurés par ce crime inouï décidèrent séance tenante le massacre de tous les moghaznis de l'oued Aggaï. Le lendemain, tous les représentants du Sultan furent assassinés par les populations de la vallée qui prirent la fuite avec leurs familles ».
Si j'avais à faire un commentaire sur les deux légendes que nous venons d'étudier, je me pencherais personnellement davantage sur la première, car la seconde me paraît un peu brodée, mais revenons à Moulay Idriss.
Durant son séjour à Sefrou, Moulay Idriss fit quelques sorties à Bahlil dont il convertit les habitants à la religion musulmane. Toujours d'après El-Qirtass, Bahlil non plus n'opposa aucune résistance à la conversion Mahométane. Mais il semble d'après la tradition orale, que la fraction des Chkounda ne se résigna que contrainte et forcée à l'action apostolique de Moulay Idriss, car elle était probablement encore influencée par les idées de la Seconde Légion Romaine d'où vient le nom de Chkounda
En tout cas, les gens de cette fraction réservèrent un très mauvais accueil au Sultan Idrissite. C'est à la suite d'un échec à Bahlil que Moulay Idriss aurait dit du Jbel Binna, en rentrant à Sfro: « Hadha Binna ou Binhoum», ce qui veut dire littéralement: ceci est entre eux et nous. Depuis le nom de Binna est resté à cette montagne que l'on voit à droite en arrivant dans l'oasis.
Sans eau, et obligés d'aller se ravitailler à l'oued Aggaï, au risque de dangers sans cesse accrus, les Bahloulis finirent par promettre à Moulay Idriss de se soumettre à sa volonté à la condition qu'il leur assura le liquide vital et toujours précieux qu'est l'eau. Moulay Idriss exauça leur désir: il retourna chez eux et fit une manifestation divine en faisant jaillir l'eau du sol après y avoir donné un coup de son épée. Cette eau serait la source d'Aïn Rta qui se trouve de nos jours au milieu de la bourgade. En admiration devant ce miracle divin, les derniers Bahloulis hostiles se rallièrent immédiatement au Monarque, mais non sans avoir mérité le surnom de Bahlil, qui leur fut octroyé par leurs voisins qui les moquèrent d'avoir tant hésité à embrasser l'Islam.
En dehors de la tombe de Sidi Nadjar, porte-drapeau de Moulay Idriss, que l'on retrouve toujours, près d'un gros frêne, dont le tronc est énorme face à l'hôtel de la Frènaie, il n'y a aucune trace concrète de ce grand Chérif Idrissite. La fin du séjour de Moulay Idriss à Sefrou serait marquée par sa phrase restée célèbre et dont les Sefriouis sont toujours très fiers n'en déplaise à leurs frères Fassis: « Je vais de la ville de Sefrou au village de Fès ».
Nous sommes maintenant entre 800 et 808 date de la création de Fès. Entre cette dernière date et l'an 1254 (1820) époque à laquelle les remparts de Sefrou furent édifiés par le Sultan Moulay Slimane qui fit construire également le Hammam El-Fouqi qui fonctionne encore de nos jours, que devint Sfro?....De cette longue période pourtant florissante en littérature, en art andalou et en science, grâce aux dynasties berbères Almoravides et Almohades, il n'y a rien qui intéresse notre petite ville de Sefrou.
Au début du 19ème siècle, le Sultan Moulay Abderrahmane, fit démolir la moitié sud des remparts et là fit construire vers Bab Mrabaa, pour agrandir la ville afin d'y installer des Chorfas Alaouites remontés de Sijil Massa, après leurs démêlés avec les Aït Atta du Jbel Sagho.
Les Zaouias à Sefrou.
Au Maroc, d'une façon générale quelle est la cause de l'existence des confréries religieuses?
Le Coran qui est une révélation de Dieu et qui constitue un pur chef d'oeuvre au point de vue spirituel et temporel, est parfois trop subtil pour la compréhension d'une masse, surtout lorsque celle-ci est illettrée. Même entre les plus grands savants de l'Islam, il y eut des divergences d'interprétations sur certaines phrases du Coran, divergences très petites certes, mais elles n'en existaient pas moins, puisqu'il y a quatre sectes musulmanes. Nous les citons:
- Hanbalite
- Chaféite
- Hanafite
- Malékite
Le Maroc est entièrement Malékite. Si la constatation que nous venons de faire, vaut pour les fins lettrés, elle vaut encore davntage pour le peuple ignorant. Il a donc fallu des initiateurs et des interprètes à une contrée bien imprégnée de l'Islamisme, mais souvent inapte à saisir toutes les nuances et à pratiquer parfaitement les cinq commandements de Dieu.
A Sefrou, il y a u assez bon nombre de sièges de Zaouïas, mais leur rôle original semble nettement en régression, tant et si bien, que dans leur majeure partie, elles ne vivent plus qu'en tant quq Mçides, en enseignant purement et simplement le Coran. Je les cite:
1- Zaouïa de Sidi Lahssen ben Ahmed – surnommée Bouqabreïne, parce qu'enterré à Azaba ce saint fut exhumé secrètement par les Ahel Sefrou, pour être inhumé chez eux. Quand les gens d'Azaba apprirent la nouvelle, ils vérifièrent et s'étonnèrent de ce que le corps du Saint homme était toujours en place. C'est ainsi que la légende veut que Sidi Lahssen soit enterré à la fois à Azaba et à Sefrou.
2- Zaouïa de Sidi Mohamed ben Aïssa- Le chef de la Zaouïa est un descendant de Sidi Mohamed ben aïssa de Meknès.
3- Zaouïa de Sidi El khatri- originaire des Amgad (d'Ouda)
4- Zaouîa de Sidi Mohamed ben Larbi- originaire de Medghra (Tafilalet)
5- Zaouïa de Sidi Abdelkader Jilali- cette zaouïa a été créée par le Caïd Mohamed ou Saïd Barbara, des Aït Youssi.
6- Zaouïa de Sidi El Ghazi- cette zaouïa sert de cimetière à des notables qui achètent des terrains pour enterrer leurs morts.
7- Zaouïa Tijania- Fondée en 1895 par le puissant Caïd Omar El-Youssi.
8- Zaouïa Kittania- zaouïa fondée par les Chorfas Adlounyne de Sefrou. Il y a environ 20 ans. Ses adeptes sont les disciples de Si Abdelhaï El-Kettani.
9- Zaouîa des Kenadsa- originaire des Kenadsa de Colomb Béchar.
10- Zaouïa Sadqla- cette zaouïa dont les origines sont totalement ignorées se trouve à El-Kelaa.
11- Zaouïa de Moulay Ali Chérif- cette zaouïa porte le nom de l'ancêtre de la dynastie Alaouïte. Elle fut créée par le Sultan Moulay Abdellah, en vue d'héberger les savants et les notables venant du Tafilalet et appelés à sèjouner à Sefrou.
12- et enfin le Marabout de Sidi Bousserghine- sans comparaison aucune avec Sidi Lahssen El-Youssi, qui fait encore autorité dans le monde des lettres arabes et de la philosophie musulmane, et qui fut célèbre à la cour du Sultan Moulay Ismaïl, Sidi Ali Bousserghine, dont les origines n' apparaissent pas d'une façon très précise, est incontestablement le sanctuaire le plus visité de Sefrou. D'une hauteur voisine de 900 mètres environ, Sidi Ali Bousserghine, domine toute l'oasis qui est tapie à ses pieds. Dans ses alentours immédiats, il existe une source miraculeuse qui a la renommée de guérir la stérilité chez le femmes. Ce Marabout aux tuiles vertes, se situe dans un cadre unique. Il est certain qu'en plus de la foi qui anime les pèlerins qui s'y rendent, venant souvent d'assez loin, il faut ajouter l'attrait du panorama de la ville qui les attire. Sidi Ali Bousserghine est également le rendez-vous de peintres de talent. Il est l'objet d'assez fines toiles.
Ses descendants au nombre de 80, que l'on trouve tous à El-Kelaa, entretiennent et gèrent le sanctuaire de leur ancêtre avec soin. La municipalité vient de placer l'eau courante dans le Marabout et s'apprête à le doter de lumière. Un café-restaurant est prévu dans le voisinage du Marabout, mais sans en altérer la beauté ni en profaner la mémoire. Il y attirera, au contraire, plus de pèlerins qui y trouveront sur place toutes commodités qui les retiendront.
Charles de Foucauld à Sefrou.
Au cours de son périple au Maroc Charles de Foucauld s'installa pendant quelques jours à Sefrou, en août 1883. Il y vint de Fès, par Bahlil, déguisé en rabbin avec son compagnon le rabbin Mardochée. Il fut reçu dans une maison au Mellah devenue célèbre, par un dénommé David Lhalyel; le grand rabbin de Sefrou, Chaloum Azoulay, fut désigné par la Communauté Israélite de la ville, pour tenir compagnie aux deux rabbins visiteurs. La femme de David surprit un jour de Foucauld en train de dessiner dans sa chambre, où il se croyait à l'abri des regards indiscrets, elle en conclut que c'était un faux rabbin. Averti, Chaloum interrogea Mardochée, le pressa de questions, celui-ci finit par avouer la vérité, expliqua les buts de son voyage et fit promettre à son hôte de lui garder le secret pendant dix ans. Ce dernier tint promesse et, en effet, ne parla de cette aventure que longtemps après.
A Sefrou, Charles de Foucauld a travaillé. Il a écrit une magnifique page sur cette oasis qui l'a inspiré.Je me permettrais de vous la citer intégralement, si vous le voulez bien, lorsque nous aborderons le chapitre du tourisme, car j'estime que cette citation mérite d'être connue, elle constitue la meilleure propagande que l'on puisse faire sur Sefrou. Il y a deux ans environ,le passage de Charles de Foucauld à Sefrou, a été filmé par une troupe de cinéastes dirigée par Léon Poirier. Cet épisode de Charles de Foucauld à Sefrou paraîtra dans la « Porte du désert » lorsque ce film sera livré au public.
L'existence ancienne des Juifs à Sefrou, est donc démontrée par l'oued El-Ihoudi, que nous avons déjà nommé et par une grotte dite « Kaf El-Ihoudi » qui se trouve au flanc sud du Jbel Binna. Elle donne sur Sefrou. Tous les ans, cette grotte, est de la part des Juifs de Sefrou et de Fès, l'objet d'un véritable culte naturaliste. Le pélerinage de cette grotte a lieu en même temps que celui du sanctuaire du grand rabbin Hamou ben Diouane, à Ouezzane.
Par ce qui vient d'être dit, vous voyez Messieurs, que sans Moulay Idriss, qui daigna venir à Sefrou pendant quelques temps, notre petite ville serait totalement sans histoire. Pourquoi Moulay Idriss n'a t-il pas développé Sefrou comme il le fit de Fez? Je ne pense pas qu'il faille voir là affaire du destin. A mon avis, ce grand bâtisseur s'est détourné de Sefrou par l'insuffisance de l'eau. En effet, que serait devenue Sefrou avec 240 000 habitants par exemple, si cette dernière ville avait prévalue sur Fès. L'Aïn Ghazi actuel qui suffit à peine à la consommation de 20 000 habitants. En outre il semble que Moulay Idriss, qui prévoyait une grande ville, ait préféré s'installer sur la ligne transversale impériale qui relie l'est à l'ouest. Quelles que soient les raisons, Sefrou ne peut devoir son développement qu'à l'initiative locale. Nous pouvons dire qu'elle est un petit don de l'oued Aggaï, comme on l'a dit de l'Egypte pour le Nil.
Sefrou comporte actuellement environ 20 000 habitants ainsi répartis:
- population européenne: 650
- population musulmane: 12 800
- population juive: 6 100
Voyons maintenant un peu la vie économique de Sefrou. A notre époque, toute question économique sous-entend toujours trois points:
- l'agriculture
- le commerce
- l'industrie
L'agriculture
L'oasis de Sefrou qui compte 7 000 hectares de terrain très fertile, est entièrement complantée d'arbres de toutes espèces. Cependant l'olivier y prédomine. Parcelles très morcelées n'excédant souvent pas ¼ d'hectare, l'ensemble n'en constitue pas moins un immense jardin touffu, où pommiers, amandiers, bigaradiers, cerisiers, poiriers, pruniers, abricotiers, micocouliers, noyers, saules -pleureurs, pins et autres essences y abondent. Le tout est irrigué par un grand faisceau de séguias partant de l'oued Aggaï.
La répartition de l'eau se fait suivant les vieilles méthodes du « Orf » ou coutume. L'importance de l'eau revenant à une parcelle, est calculée au « Mounqach ». Le mounqach veut dire pioche ou sape, autrement dit ce qu'une personne peut canaliser et maîtriser comme eau en l'espace d'un temps donné. Cette méthode est toujours valable de nos jours, elle n'est pas mauvaise, mais elle donnera place au système métrique, dès que nos séguias seront cimentées, ce qui est un autre problème d'actualité et qui n'a pas sa place dans cette petite étude. L'eau est directement affectée aux différents jardins qui ont presque tous des noms, elle ne dépend pas du propriétaire qui peut changer d'un moment à l'autre et reste le bien inaliénable d'une surface déterminée.
Dans cette oasis touffue, très ombragée, la culture du blé et de l'orge est presque insignifiante. C'est le maraîchage qui y trouve sa place. En plus des fraises qui réussissent bien ici, les autres légumes paraissent être en quantité suffisante pour la consommation locale et celle de la circonscription qui s'y ravitaille les jours de souk. Les fraises sont exportées vers les grandes villes du Maroc , notamment Casablanca (60 tonnes ont été vendues l'an dernier). Les cerises sont également vendues à l'extérieur (15 tonnes ont été vendues en 1949, contre une moyenne de 70 tonnes les années précédentes, avant les ravages du bupreste).
En ce qui concerne le cerisier, vous n'ignorez pas que cet arbre est actuellement ravagé par un insecte qui s'appelle le bupreste. Si des moyens énergiques ne sont pas mis en oeuvre très rapidement pour combattre ce nouveau fléau du cerisier, nous pourrions bientôt effacer ce délice des rois de la liste des productions de notre oasis.
La production oléicole est assez importante. Sefrou produit une moyenne de 1 135 tonnes d'olives par an. Les olives de Sefrou sont de plus en plus entièrement traitées dans les huileries modernes de Sefrou, qui sont venues très heureusement remplacer les vieilles Maäsras (pressoirs). L'huile est exportée, c'est une des principales richesses de Sefrou et de son Cercle.
Au point de vue commercial, Sefrou est un centre d'échanges entre la ville de Fès, et les tribus qui l'environnent.
En produits d'importation, la ville joue un rôle de détaillant vis-à-vis de sa clientèle composée des Ahel Sefrou eux-mêmes, de Bahlil, des Aït Youssi et des Béni Yazgha. Elle est également vendeuse du produit de son artisanat ( nous nous étendrons un peu plus sur l'artisanat local tout à l'heure). En revanche, la ville achète des animaux de boucherie, de selle ou de trait aux montagnards. Elle leur achète les céréales, la laine,le beurre, les poulets, les oeufs, les poteries, etc....
Pour cet échange commercial, on trouve à Sefrou, en dehors des boutiques permanentes qui vendent les produits étrangers, tels que sucre, thé et cotonnades, etc...quatre souks nettement différenciés l'un de l'autre. Selon ce qui se vend dans les souks ces derniers sont plus ou moins fournis suivant les jours de la semaine qui leur sont affectés mais le jour du grand marché à Sefrou est le jeudi:
a- Souk de la Jotïa – ce qui correspond à ce que l'on appelle le marché aux puces. On y trouve de tout, mais généralement des choses usagées, il a beaucoup de succès parce que les gens y trouvent parfois des occasions qu'ils ne peuvent avoir ailleurs. Youjadou fi Nahri ma la ioujadou fi Albahri selon le vieil adage arabe qui veut dire qu'on peut trouver dans la rivière ce qu'on ne peut parfois trouver en mer. Elle est alimentée en grande partie par des petits commerçants de Fès. Son emplacement est à la porte de Bab béni Mèdreck, le long des remparts.
b- Le souk à bestiaux est un peu en dehors de la ville: pour des raisons faciles à concevoir, il se trouve à la sortie sud de la ville, à droite sur la route de Boulemane. C'est là que se vend le bétail: bovin, ovin et caprin, ainsi que des animaux de trait, surtout des petits mulets, propres au travail en montagne, quelques ânes, très peu de juments et presque pas du tout de chevaux. Ce souk à également lieu le jeudi.
c- et enfin le souk El Khémis proprement dit, qui est le marché municipal que l'on peut détailler en deux parties:
1- la place des céréales, des laines, du sel des Béni Yazgha, des poteries etc...
2- le marché permanent des fruits et légumes.
Le premier connaît régulièrement une grande activité. Des quantités de céréales très variables, d'un souk à l'autre, y trouvent leur libre cours. Mais en moyenne, on peut dire que les transactions portent sur les quantités suivantes:
- blé dur 14 quintaux
- orge 50 quintaux
- maïs 32 quintaux
- pois chiches 13 quintaux
- sorgho 22 quintaux
- lentilles 15 quintaux
- fèves 4 quintaux
Les petites quantités de céréales qui viennent d'être énoncées, indiquent les besoins de la consommation locale courante des non-terriens musulmans et juifs de Sefrou et Bahlil. Le marché aux grains bien achalandé depuis l'année dernière, semble avoir fait disparaître les courtiers qui avaient l'habitude de stocker pour spéculer. Espérons que ce marché sera encore plus à flot par la récolte prochaine qui s'annonce conséquente en moisson.
L'industrie
En ce qui concerne l'industrie, nous pouvons malheureusement dire que Sefrou en est totalement dépourvue. En dehors de quelques rares huileries qui emploient un nombre d'ouvriers insignifiant et de quelques petites minoteries mécaniques modernes, ainsi qu'une menuiserie dont la production franchit rarement les remparts de Sefrou, le reste est affaire de vieil artisanat qui est en train d'agonir, ici et plus qu'ailleurs, vous le savez bien.
En effet Sefrou comporte près de 35 corporations bien compartimentées les unes par rapport aux autres avec un Amin à la tête de chacune d'entre elles, pour former un tout sous la surveillance et le contôle du mohtasseb, dont nous connaissons le rôle important.
Ces corporations comportent à peu près tous les métiers: nous allons en citer les principales avec leur genre d'activité:
a- les tisserands – c'est incontestablement la corporation la plus importante de la ville. Elle compte 70 métiers à tisser. Ces métiers en bois, souvent mal rafistolés n'ont guère changé depuis l'antiquité. Vous en avez visité à Fès, ceux de Sefrou, ne sont pas plus brillants. Ces tisserands font des couvertures de laines et des haïks, pour les femmes, car la plupart de ces dernières ne sont pas encore venues au port de la jellaba. Ils tissent également quelques jellabas et burnous en fils sur fils.
En dehors des couvertures, ces produits ne dépassent guère le Cercle de Sefrou. Il est regrettable que les tisserands de Sefrou, n'aient pas encore un type de jellabas et de burnous assez fins, pour être vendus sans crainte de la concurrence étrangère, comme les tissus d'Bzou, la jellaba de Ouezzane ou celle de Fès.
b- les menuisiers- ils sont assez nombreux à Sefrou, mais à part deux scieries mécaniques, pouvant satisfaire les demandes de la clientèle, les autres vivotent simplement en accolant les planches les unes aux autres.
c- les forgerons- en nombre assez limités, ils travaillent les grillages pour les fenêtres des maisons. Certains d'entre-eux peuvent exécuter quelques objets d'art, tel qu'un lustre, un chandelier ou un porte-manteaux.
d- les babouchiers- ils font des travaux assez rudimentaires qui ne trouvent de clientèle que parmi les gens du bled. Nous savons où en est le tannage du cuir au Maroc....c'est à dire qu'il y a fort à faire dans ce domaine.
e- les maçons- ils sont en général assez bons, quelques uns d'entre-eux sont de véritable Maâlmines et sont d'ailleurs entrepreneurs; ils font les plus grandes constructions à Sefrou en exécutant à la lettre les plans d'architectes les plus astucieux.
f- les cordiers – ils travaillent le chanvre qui est produit dans la proportion des ¾ par les BéniYazgha et le reste par Sefrou et Bahlil. Cette production n'est pas très grande, elle ne s'étend que sur 35 hectares environ, ce qui donne un rendement moyen de 35 tonnes par an. En plus des cordes que l'on tire du chanvre, il en est fait également des ficelles pour lier les gerbes au moment de la moisson et du fil à coudre les chaussures. On prétend que les corsaires de Salé venaient jusqu'ici pour s'approvisionner en cordages.
g- les bijoutiers – surtout juifs, ils travaillent beaucoup plus l'argent que l'or. Leurs bijoux, comme presque tout ce qui est fait à Sefrou, ne trouve acquéreurs que parmi les gens du bled.
h- les cordonniers – Ils font des sandales très grossières, généralement à semelles de vieux pneus réformés pour les campagnards.
Et enfin, une foule de petites corporations sur lesquelles il serait fastidieux de s'étendre, leur utilité ne dépassant pas le cadre de la ville.
D'une façon générale l'artisanat et l'artisanat Sefrioui en particulier, ne semble pas pouvoir survivre à la guerre par les moyens primitifs qu'il s'acharne encore à utiliser. De 1939 à 1947 les produits de l'artisanat marocain se sont bien écoulés à l'intérieur du Maroc et même en France, par manque de produits étrangers. Mais depuis un an environ, le marché marocain est inondé de marchandises étrangères qui étouffent les produits locaux. Comment lutter contre la concurrence des pays du monde entier, auxquels les portes du marché marocain sont largement ouvertes?
Je n'ai pas la prétention de répondre à cette grave question, sur laquelle beaucoup d'encre a déjà coulé sans grand résultat semble-t-il ! Ce problème dépasse nettement le cadre régional pour mériter une attention soutenue de la part du Gouvernement qui doit rechercher une solution de modernisation à l'artisanat marocain.
Par ailleurs, ce sont les artisans eux-mêmes qui se doivent de réformer leur routine ancestrale. Ils doivent comprendre tant qu'il est temps, que le choix des matières premières et le soin apporté à l'industrialisation de ces dernières sont les deux seuls garants contre la déchéance totale qui les guette.
Ce mot de modernisation effraie beaucoup de gens qui l'associent automatiquement à la mécanisation. C'est juste pour une bonne partie de l'artisanat, mais il n'en reste pas moins vrai qu'une simple réforme de l'outillage antique, avec un souci un peu plus grand du fini de l'article travaillé, donnerait déjà plus de succès aux produits marocains.
A ce sujet, que Mme Cauneille de Sefrou, me permette de la citer en exemple. En effet, Mme Cauneille fait des tapis qui ont beaucoup de succès au Maroc et même à l'étranger. Les métiers qu'elle utilise sont du même modèle que tous les autres métiers utilisés jusqu'à ce jour, mais simplement plus nets et plus variés en dimensions. Quelques uns comportent des rouleaux en métal. Les matières premières qu'elle utilise sont de première qualité. Sa laine est très recherchée et quand elle ne la trouve pas au Maroc, elle n'hésite pas à la faire venir de France et même d'Australie. En plus des deux premiers facteurs, il y a l'apport d'un soin méticuleux dans l'exécution du travail et voilà tout le secret pour relever notre moribond qu'est l'artisanat marocain.
Cette réclame à la maison Cauneille est totalement gratuite, je n'ai aucune action dans la maison !
Le tourisme
En attendant la réalisation du barrage du M'Dez, sur lequel la ville de Sefrou fonde tout son espoir, passons à l'importante question du tourisme.
D'abord qu'est ce qu'on entend par le mot tourisme? Le Larousse en donne une bien maigre explication. Il est évident qu'on peut trouver autant d'interprétations de tourisme qu'il y a de gens qui le pratiquent. Pour les uns, c'est une distraction, un changement d'air, un sport, une partie de plaisir, une période de repos et de délassement, pour les autres c'est l'aventure, la recherche de monuments anciens, la recherche de la couleur locale, l'avidité à s'instruire sur un pays donné, etc...
Toutes ces façons de concevoir le tourisme sont louables, mais sont généralement exigeantes. Sefrou répond-t-il à ces exigences? En bonne partie oui , sans esprit de clocher ou plutôt de minaret.
Les avantages touristiques de Sefrou sont très nombreux. Nous allons les étudier dans un esprit objectif:
La situation de Sefrou place cette dernière ville à la portée immédiate de tous les touristes qui visitent Fès. Une route agréable, constamment bordée de paysages souriants sur 27 km, seulement un coup de volant comme on dit généralement en ce siècle de l'automobile, mène à l'oasis enchanteresse qu'à déjà chantée Charles de Foucauld en 1883. Comme je ne pourrai jamais donner meilleure description de Sefrou, je préfère vous lire fidèlement ce qu'il en écrit dans son livre « Reconnaissance au Maroc » page 37,
20 août Excursion à Sefrou;
Départ de Fès à 5 heures du matin. Pendant la première portion du trajet , je traverse la partie orientale du Saïs: plaine unie, sans ondulations; sol dur, assez pierreux, couvert de palmiers nains. Vers huit heures le pays change: fin du Saïs; j'entre dans une région légèrement accidentée; collines très basses, à pentes douces séparées par des vallées plus profondes: sol souvent pierreux, parfois rocheux; terre rougeâtre; à partir d'ici, on voit une foule de sources, de ruisseaux dont les eaux courantes et limpides sont bordées de lauriers-roses. A neuf heures, je passe à hauteur d'un très grand village, El Bahlil (les sots); il porte , dit-on ce nom parce que ses habitants prétendent descendre des chrétiens. Quelle que soit son origine, son état actuel est prospère; les maisons y sont bien construites et blanches; autour s'étendent au loin de beaux et vastes vergers qui avec ceux de Sefrou et du Zerhoun forment cette riche ceinture qui entoure et nourrit Fès.
D'ici on voit les jardins de Sefrou, qui s'allongent à nos pieds en masse sombre; une pente douce y conduit, la ville est au milieu; mais cachée dans la profondeur des grands arbres, nous ne l'apercevons qu'arrivés à ses portes. A neuf heure et demie, j'entre dans les jardins, jardins immenses et merveilleux, comme je n'en ai vu qu'au Maroc: grands bois touffus dont le feuillage épais répand sur la terre une ombre impénétrable et une fraîcheur délicieuse, où toutes les branches sont chargées de fruits, où le sol toujours vert ruisselle et murmure de sources innombrables. Chefchaouen, Tétouan, Taza, Sfrou, Fichtâla, Béni Mellal, Demnât, autant de noms que me rappellent ces lieux charmants: tous sont également beaux, mais le plus célèbre est Sfrou. A dix heures, j'arrive à la ville; de grands murs blancs l'entourent, elle a l'aspect propre et gai.
C'est surtout en la parcourant qu'on est frappé de l'air de prospérité qui y règne: on ne le retrouve en aucune autre ville du Maroc. Partout ailleurs on ne voit que trace de décadence, ici tout est florissant et annonce le progrès. Point de ruines, point de terrains vagues, point de constructions abandonnées: tout est habité, tout est couvert de belles maisons de plusieurs étages, à extérieur neuf et propre; la plupart sont bâties en briques et blanchies. Sur les terrasses qui les surmontent des vignes, plantées dans les cours, grimpent et viennent former des tonnelles.
Une petite rivière de 2 à 3 mètres de large et de 20 à 30 centimètres de profondeur, aux eaux claires, au courant très rapide, traverse la ville par le milieu: trois ou quatre ponts permettent de la franchir. Sfrou a environ 3 000 habitants, dont 1 000 israélites. Il y a deux mosquées et une Zaouïa: celle-ci renferme de nombreux religieux appartenants aux descendants de Sidi El Hasen el Loussi. ( célèbre marabout marocain né en 1592 (A.H.) ) On remarque aussi beaucoup de turbans verts, insigne des Derkaoua.
J'arrête là cette citation que Foucauld continue par un chapitre qu'il consacre au commerce de Sefrou.
Comme vous le voyez par le témoignage de Foucauld et de bien d'autres visiteurs de marque, Sefrou est donc un site charmant et unique au Maroc. Dans toute l'Afrique du Nord, je ne compare personnellement la ville de Sefrou qu'à celle de Tlemcen. Je n'insisterai pas sur ses beautés, mais j'ajouterai un mot du panorama de l'oasis que l'on embrasse d'un seul coup d'oeil à partir de Sidi Ali Bousserghine et du Fort Prioux. L'oasis qui engloutit la ville, dont elle ne laisse émerger à travers ses lourds feuillages que les minarets des mosquées, est ceinturée de montagnes qui lui donnent un air de véritable décor de théâtre. Quant au climat, écoutons ce qu'en dit un excellent disciple d'Esculape, dans une note adressée au « Maroc médical »:
[i]
Le climat de Sefrou est caractérisé par une sécheresse de l'air assez accentuée, mais compensée par la sensation de fraîcheur due aux ombrages et aux eaux vives courant dans les sentiers et même dans les rues.
Le massif du Kandar protège des vents d'ouest, de telle sorte qu'en hiver le brouillard est pratiquement inconnu à Sefrou, même lorsque Ifrane, Immouzer et même Fès en sont couvertes.
D'ailleurs le vent lui-même est exceptionnel et l'abondance des cerisiers et arbres fruitiers en est le témoignage.
Son altitude moyenne, aux environs de 900 mètres, le rend habitable confortablement pendant la totalité de l'année, son climat se rapprochant beaucoup de celui de France, ni trop froid en hiver ni trop chaud en été.
Ce climat égal, tonique est particulièrement favorable aux adultes fatigués, tant physiquement que nerveusement. A la cure de repos s'ajoute un effet anti-anémique qui rend Sefrou précieux dans les séquelles de paludisme ou de dysenterie. L'altitude moyenne est favorable aux coeurs malades et surmenés, aux essoufflés qui ne peuvent supporter les stations au-dessus de 1000 mètres.
Les adultes trouvent en outre à Sefrou, le minimum de distractions qui rend une cure agréable quand ce ne serait que par ses promenades multiples et variées (tennis, piscine, pêche, chasse), les aspects vivants de la cité, la proximité de Fès.
Les enfants anémiés et fatigués y reprendront leurs couleurs et leur vivacité. Par contre les pulmonaires se trouveront mieux des stations classiques, d'altitude plus élevée et de climat plus excitant.
Enfin si l'eau des sources de Sefrou ne peut prétendre malgré sa légère minéralisation au titre de thermale, elle n'en a pas moins un très grand effet diurétique, particulièrement dans la première quinzaine de séjour. D'où des effets bienfaisants chez ceux dont le rein est fatigué, ou la diurèse insuffisante, à la suite d'un trop long séjour dans les plaines brûlées par le chergui.
Conclusion: Sefrou est la station de choix des anémiés, petits et grands, des paludéens, des essoufflés, de ceux dont le coeur ou les reins commencent à flancher.
Sefrou est par excellence la station des vieux marocains. Ils y retrouveront le climat de France sans les difficultés toujours croissantes du voyage. Ils peuvent y séjourner toute l'année.
L'industrie hôtelière à Sefrou
Quoiqu'encore sans grands palaces capables de loger de grandes caravanes de touristes, Sefrou est déjà dotée de quatre hôtels qui reçoivent honorablement les personnes qui s'y présentent. Il serait cependant très souhaitable qu'un nouvel hôtel, d'une cinquantaine de chambres, avec tout le confort moderne vienne compléter l'industrie hôtelière de Sefrou.
Les excursions
Les touristes peuvent flâner agréablement dans la médina où la couleur locale ne manque pas. Le lavoir juif, le Mellah, sont autant de curiosités que l'on ne trouve nulle part ailleurs. Toujours à pied ou en voiture pour les gens pressés ou un peu fatigués la piste dite « touristique » fait faire le tour de la ville, tout en restant dans les jardins. Les cascades, le Fort Prioux et le Boulevard du Plateau constituent un véritable enchantement.
Dans le voisinage immédiat de Sefrou n'oublions pas Bahlil qui n'est qu'à 6 km de Sefrou. Une excellente route y conduit le touriste et le place dans cette belle cité à la personnalité bien marquée. Un café-maure très original et judicieusement bien placé, permet de contempler la bourgade de Bahlil qui est étagée en amphithéâtre, ainsi que Fès et la plaine du Saïs.
A l'arrière-pays de la ville, c'est à dire vers Immouzer du Kandar, Annoceur et El-Menzel, un remarquable faisceau de bonnes routes a été crée par les soins du Contrôle Civil de la Circonscription de Sefrou, auquel il faut rendre hommage. Des panneaux de signalisation guident le touriste dans toutes les directions. Les lecteurs assidus du « Courrier du Maroc » ont du voir dans ce journal, il n'y a pas longtemps la carte de ce réseau touristique. Ce circuit touristique dit du Sud mène à Daët Achleff, et plus loin vers d'autres daëts, si l'on veut. Ces lacs n'ont de comparable que la série des lacs qui se trouvent en France ou en Suisse. Il conduit à Annoceur, puis aux ruines romaines qui sont à 19 km de là. Et enfin aux gorges pittoresques du Sebou, par la piste d'El-Menzel.
Au point de vue sportif
J'ajoute que la piscine fait le délice des baigneurs pendant toute la saison estivale. Remarquablement bien située dans des bois très hauts, aux différentes tonalités, elle rappelle la grande source mystérieuse du Meski, dans la vallée du Ziz au Tafilalet. Une différence très nette de température de 4 à 5° s'y fait sentir avec les autres coins de Sefrou.
Enfin je terminerai cette série de possibilités offertes aux touristes, par celle de la chasse qui peut satisfaire les fusils les plus difficiles.
Dans les conditions que je viens de décrire, il nous reste à savoir si Sefrou doit et peut avoir son autonomie? A cette question les avis sont partagés. Les uns répondent que oui, les autres disent que non. Je me rangerai personnellement plutôt à la dernière réponse car en dehors de quelques très rares touristes qui viennent à Sefrou par le sud ou par Immouzer du Kandar, les autres , c'est à dire le plus grand nombre, montent de Fès, après avoir visité cette dernière. Il semble donc logique que le tourisme de Sefrou doit dépendre de celui de Fès, pour ne faire finalement qu'un seul tourisme. Il appartiendrait alors à notre grande capitale du Nord de diriger ses visiteurs, quand ces derniers en auraient épuisé tous les charmes, sur sa petite voisine de Sefrou. Cette question reste donc une affaire de coordination entre les deux villes qui doivent être liées dans leur propagande du tourisme. Là, je ne pense pas mieux faire que de me permettre d'attirer l'attention de l'Office du Tourisme de Fès sur cette question qui est vitale pour notre région.
Conclusion
Avec sa toute petite histoire pleine de légendes qui la rendent un peu naïve et mystérieuse, Sefrou n'en demeure pas moins une perle à l'écrin de verdure. Son site, ses beautés naturelles et son climat forceront toujours l'admiration de tous ceux qui la découvriront. Ville intermédiaire entre Fès et les grandes tribus de l'Anti-Atlas, Sefrou est vouée à rester un grand souk commercial et artisanal, quoiqu'elle est perdue la route du sud qui lui a été ravie par Meknès.
Petite ville propre, au décor harmonieux, Sefrou évolue lentement mais sûrement. Ni riches ni pauvres ses habitants vivent heureux dans le respect des traditions et de l'ordre. Ils fondent de grands espoirs sur le futur barrage de M'Dez dont ils souhaitent la réalisation rapide. Ils souhaitent aussi très ardemment le développement du tourisme auquel le sort de leur ville est en grande partie lié.
Profondément croyante, Sefrou place tout l'espoir de son avenir en Dieu, ainsi qu'en la prospérité que lui assure le règne de Son Sultan bien-aimé: Sidi Mohammed, que Dieu le protège et enfin en la France, qui s'est donnée pour mission de faire du Maroc un pays moderne.
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